Friday 15 December 2006

JAWDAT FAKHREDDINE POÈTE















Pas Encore, Jawdat Fakhreddine


Jawdat Fakhreddine est un poète libanais né au Sud et dont le principal trait est d’allier la pureté de la langue arabe et ses rythmes traditionnels (tafiila) à la passion de la vie et à une certaine hauteur perceptible dans tous ses poèmes. Ses recueils (Je ne vais pas assez loin dans ton amour, 1979 ; Illusions rurales, 1980 ; Il est un temps pour voir, 1985 ; Poèmes peureux, 1990 ; Des jours, des eaux et des voix, 1991 ; Un phare pour le noyé, 1996 ; Cieux, 2002) viennent d’être réunis dans Œuvres poétiques, (al muassassa alarabiyya lil dirassat wal nachr, 2006). Nous publions ici la traduction du dernier poème de son plus récent recueil, Pas encore (Riyad Rayess, décembre 2006) écrit après la guerre des 33 jours et qui illustre très bien son style.

ECLATS

1- Chemin

Un chemin pour notre maison au Sud.
Les guerres l’ont beaucoup emprunté
Et nous le réparons tous les jours
Réparant sur lui notre age
Pour voir les guerres poursuivre leur voie.

2- Ciel

Le ciel issu de l’enfer des peurs
Ne monta pas.
Il tomba tout entier dans le jardin
Eparpillé comme des éclats de verre.
La tempête des obus jeta quelques fenêtres
Sur la terre du jardin
Et une étoile tressaillit dans la clôture
Muée en firmament.
La clôture est devenue les confins du ciel.

3-Figuier

Un arbre
Triomphait de notre désespoir quand le désespoir nous prenait
Ses fruits jaunissaient à la vue de nos peurs…
C’est le figuier, souche du jardin
Ses branches désespéraient-elles,
Le tronc du jardin germait à la souche.
Joie de l’été
Il le porte et l’arbore le jour durant
Et la nuit lui murmure à l’oreille
Levant sa brise…
C’est le figuier
Souche et joie du jardin
Quand les bombes l’assaillirent
Il s’abaissa, saisi, muet
Puis fit signe à l’été
De se travestir en vagabond parmi les champs.

4- Abeille

Une abeille gît près d’un pot de fleurs maintenant fanées.
Le bourdonnement éteint par les éclats d’obus
Pousse des plaintes d’épines sur le sol.

5-Brume

Avec qui a pu converser cette brume?
La brume des vallons qui respirent à l’aube.
Avec qui a-t-elle pu converser quand venue
Elle vit la face des villages enfouie dans les maisons détruites?
Se serait-elle insinuée entre les débris ?
La plainte des maisons lui serait-elle parvenue
Recroquevillées comme des foetus?
S’est-elle perdue sur les sentiers,
Essayant de se dissiper et n’y parvenant pas ?...
Une brume qui a perdu toute orientation
Perdu la face des villages
Disparue parmi les maisons détruites
Disparue étouffée comme l’aube des vallons.


6-Balcon

Un balcon secoué par la tempête
Faillit succomber aux horreurs de ce qu’il vit
Mais maintint sa place en un lieu élevé.
Lui apparaissaient la plaine, la nuit
Les arbres agressés
Et l’herbe résistant à chaque tournant.
Lui apparaissaient la peur, le courage, le désespoir,
Et l’espérance qui renaît de chaque peur
Et de chaque désespoir.
Tout lui apparaissait et il ne vit rien.
Il se maintint au lieu où il domine
Désireux d’une ombre, d’une branche, d’un oiseau…
Scrutant la plaine entre l’aube et le crépuscule
Scrutant la nuit entre le crépuscule et l’aube
Une plaine qui n’en est pas une
Une nuit qui n’en est pas une.
Tout lui apparaissait et il ne vit rien.
Il se maintint à dominer et à désirer…
Rejoint par le temps que les guerres détraquaient,
Il le surmonta
Nageant dans la nue de sa solitude…
Un balcon que la tempête terrifiait
Mais qui maintint sa place en un lieu élevé
Et dans un temps détraqué
Continua à dominer, à désirer, à s’élever…
Afin qu’un temps nouveau touche sa haute solitude.
Un balcon en quête de la vie
Se hisse dans un instant éloigné.