Un pays qui a un tel
respect de l’homme et de la nature et qui s’ingénie à améliorer « sans
cesse son quotidien par de nouvelles pratiques et de nouvelles lois »
Alexandre Najjar: Les
anges de Millesgârden, Récit d’un voyage en Suède, Le sentiment
géographique, Gallimard, 2013.
Si Alexandre Najjar n’a pas intitulé son dernier ouvrage Les
Lettres suédoises pour faire écho aux Lettres persanes de
Montesquieu, les intitulés de ses 17 chapitres si hauts en couleurs, à la
manière du XVIIIème siècle, n’occultent pas
la référence : « Où l’on découvre l’aéroport de Stockholm, les
taxis, la neige, Bernadotte et l’alcool », « Où l’on découvre un
personnage de Michel Tournier et les Suédois au quotidien »… Reste que le
titre choisi ne manque pas d’attrait ni par son énigme propre ni par la
référence aux anges,
« terribles » selon Rilke, mais « par leur existence trop
forte ». Les anges [musiciens] de Millesgârden, ce sont ces
bronzes du sculpteur Carl Milles (1875-1955), disciple de Rodin, sur une belle île
de la banlieue de Stockholm dans le jardin entourant la résidence de l’artiste.
Ces œuvres sont « perchées sur des colonnes si fines qu’on les croirait en
apesanteur » ; « ils ont un rôle de messager, d’intercesseur
entre ciel et terre ». C’est donc autant par allusion au côté paradisiaque
de la Suède que par acte de foi dans le dialogue culturel que le titre a été
retenu.
Le livre est le récit d’un voyage à Stockholm et à
Göteborg. L’auteur s’y est rendu en sa double qualité d’auteur traduit en
suédois (L’École de la guerre, 1999), mais d’où la dimension libanaise n’est jamais
absente (il donne une conférence sur Gibran) et d’écrivain francophone. Cette
dualité se manifeste à toutes les pages. Mais si le livre suit l’ordre
chronologique du séjour, commençant par l’aéroport et finissant par lui, Najjar
a su répartir les thèmes d’intérêt dans les chapitres de sorte qu’on assiste,
sinon à une initiation ascendante, du moins à une randonnée générale où la
curiosité du lecteur est toujours mise en éveil, où la composition est
équilibrée et où le terme sembler fermer la boucle.
On apprend beaucoup dans ce livre et sur bien des sujets.
Mais ce qui frappe surtout en lui, c’est son côté récréatif, la bonne humeur
dont il se ressent et la légèreté « aérienne » qu’il dégage. C’est un
véritable voyage en Suède, le froid en moins, un bon compagnon en plus et le
vagabondage culturel au programme. Si la devise du classicisme est
« plaire et instruire », cet ouvrage l’illustre bien par ses voies
propres. « Les travaux les plus ardus ne sont pas incompatibles avec un
brin de dérision ».
C’est « la planète Suède » qui est évidemment
explorée et elle l’est sous tous les angles : des paysages à la corruption,
de l’Etat à la population, de la famille royale aux musées, des cimetières à
l’écologie, des immigrants arabes et musulmans à l’Académie suédoise, du cinéma
aux couples et à la la vieillesse…«A partir du ciel, de la terre et de la
mer » comme le signale à propos de Stockholm l’intitulé d’un chapitre.
Najjar a beaucoup lu sur les Bernadotte, le séjour de Descartes chez la reine
Christine, sur celle-ci jusqu’au film de Mamoulian, le préféré de Staline, sur
« la mentalité suédoise ». Il a une oreille extrêmement attentive aux
conversations et sait choisir et rendre leur contenu (on apprend, par exemple,
que le français n’est qu’au 5e rang des langues non seulement après
l’anglais et l’allemand, mais après l’espagnol et ne survit que dans la
catégorie la plus cultivée de la société ; que les Suédois, si fiers de
leur pays, aiment s’entendre dire qu’ils sont différents de leurs compatriotes).
Mais surtout il se révèle un excellent observateur des mœurs et des visages et
un saisissant auteur d’esquisses. La seule faiblesse que je note ici est la
comparaison fréquente de la Suède au Liban (pour la sécurité, l’ordre, la
propreté…) et aux pays musulmans (quant aux libertés et droits de la femme) :
elle ne fait qu’enfoncer une porte ouverte. Enfin si l’auteur proclame sans
ambages son admiration pour un pays qui a un tel respect de l’homme et de la
nature, qui s’ingénie à améliorer « sans cesse son quotidien par de
nouvelles pratiques et de nouvelles lois », il ne cache ni les ombres de
la Suède, ni les défis nouveaux auxquels elle est confrontée.
Le livre nous révèle aussi un Alexandre Najjar détendu,
amusé, parfois naïf, souvent cravate défaite, imbu du Liban et le traquant
partout dans les musées et parmi les hommes, digne représentant de la culture
et de la langue françaises. Un honnête homme ouvert, plein de bon sens,
cultivé, sans affectation (attaché à un seul film de Bergman, déçu par les
villes de Casablanca et Carthage, rebelle a la peinture abstraite…), parlant
simplement de son enfance, de son goût du jardinage, des souvenirs familiaux, cinématographiques et littéraires.
Comme
la générosité est le principal trait d’Alexandre, il partage avec son lecteur
ses acquis culturels et ses conversations, dont une particulièrement
intéressante avec François Nourissier à Beyrouth. Par Les anges de
Millesgârden, il nous a fait don d’un livre d’amour pour la sculpture, la
France, le Liban, Jésus…et surtout pour le voyage et la Suède.
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