Thursday 3 September 2015

HUMANISME & CULTURE :PHARÈS ZOGHBI (1919-2015)








" - Pourquoi Maître, écrivez-vous votre prénom avec Ph ? – Tanmîr (afféterie) ! » Pharès Zoghbi était un amoureux de la lettre mais sa passion ne se passait ni de l’esprit, ni de l’humour. Aux années 1990 et 2000 où je l’ai connu, il affichait toujours simplicité et générosité sur un visage d’enfant auréolé de chevelure blanche et où un regard malin perçait des lunettes minimales à monture dorée. Son dos semblait porter plus le poids d’une Culture à sauver, à transmettre et à en tirer un parti éducatif que celui des ans.
           Né dans le Minas Gerais au Brésil, orphelin à 6 ans, il revient à Cornet Chahwan dans sa douzième année avec le portugais pour unique bagage. Elève au collège de la Sagesse, étudiant à la faculté de Droit de l’USJ, il maîtrise le français et l’arabe. Dans A livres ouverts: Une vie de souvenirs (Dar annahar, 1998), on le voit se rendre à la fin des années 1930 à la Librairie Antoine de Bab Idriss pour se procurer Le Temps et L’Action française.  L’ouvrage raconte, à travers des anecdotes savoureuses, comment s’est façonné son itinéraire.
          Avocat chevronné, il dote Le Nahar  de son ami Ghassan Tuéni d’un règlement intérieur qui met la rédaction du journal à l’abri total de ses propriétaires. Chargé de discuter avec Georges Naccache l’achat de L’Orient, il sort après de longues heures d’âpres discussions en disant : « Il connaît très bien Péguy ! » De passer maître dans le règlement des dossiers ne le distrayait jamais d’une voluptueuse fréquentation de la culture, une culture dans laquelle il cherchait le salut du Liban et un rempart vigoureux contre la violence et la guerre. Son aptitude juridique, son vaste savoir et ses affinités littéraires s’inscrivaient dans un engagement éthique et philosophique pour l’être humain, la personne comme le montre son long compagnonnage de la revue Esprit fondée par Emmanuel Mounier : il en possédait tous les numéros (privilège unique de lettré) et il a reçu la confiance de ses comités de rédaction successifs qu’il guidait dans le dédale libanais.
          Sa passion du livre imprimé auquel il consacra sa fortune donna une riche bibliothèque où il aimait recevoir et guider et dans les jardins de laquelle il invitait. Il en sut faire don, avec le domaine qui l’entoure, à l’USJ, à Cornet Chahwan, au Liban, à la culture, l’humanisme et la liberté. Elle préserve aujourd’hui son nom, son exemple et des pans de son ironie.
           En ce, Pharès Zoghbi a réussi à faire de sa mort une généreuse et brillante plaidoirie. 

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