Thursday 4 August 2016

JOSEPH SAYEGH ET LE LIVRE D’ANN-COLYN







Joseph Sayegh est l’un des plus grands poètes libanais. Né à Zahlé en 1928, il est l’auteur de nombreux recueils: ses Œuvres poétiques complètes parues en arabe à Darannahar en 2004 regroupent 4 épais volumes. Son nom demeure attaché au Livre d’Ann-Colyn publié en 1973 et qui reçut dès sa parution un accueil fulgurant (article dithyrambique d’Ounsi El-Hage). Ouvrage presque sans exemple dans la littérature arabe contemporaine par la puissance de son souffle, l’unité de son inspiration, l’ampleur de sa phrase et la vigueur de ses strophes, il chante une femme, la femme, l’être humain, l’amour, la vie, le cosmos… Mobilisant les ressources de ses études, de ses voyages, de sa réflexion, bref de son expérience de la modernité universelle, retenant les leçons de Mallarmé, Valéry, Saïd Akl et Saint-John Perse, le poète transmue sa quête passionnelle, existentielle (wajd, wûjûd) en une investigation souveraine de l’essence du langage, des ressources et sources de la langue, de la fulgurance de la poésie.    
Enseigne-moi ton corps mon aimée,
Inculque-moi les règles du langage vivant,
Langage à l’origine de toutes les langues.

Jacques Berque a pu écrire : « Formidable monument élevé au langage, ou bien à l’amour ? L’un et l’autre sans doute. Mais j’aurais tendance à croire que le poète célèbre ici l’univers à travers les sonorités des phonèmes arabes. »
Sayegh a été peu traduit en français. Par ces morceaux choisis, rendons hommage à cette première version fragmentaire du Kitâb.

F. S.

Joseph Sayegh: La poésie est femme ou Le Livre d’Ann-Colyn, Hymnes et fragments choisis, Préface de Sobhi Habchi, Postface de Michel Hayek, Traduits de l’arabe par François Harfouche, Librairie d’Amérique et d’Orient Jean Maisonneuve, Paris, 2016, 112pp.

Je me suis nourri de chemins
Comme l’éclair du ciel immense
Et tous mes chemins s’en furent jusqu’à toi.
***
De Venise à Bruges, de la Seine à Amsterdam
Les péniches fluviales me traversent
Comme si j’étais, des choses éphémères, la parole
Comme si par moi voyageaient les voyageurs
Comme si moi-même étais
Les chemins de tous les voyageurs.
***
Donne-moi, /Donne-moi, mon amour,/La volupté d’être chaos/Dans la luxuriance de tes cheveux/Au gré des vents qui se les arrachent…
***
Nos deux solitudes se sont rencontrées
Et j’ai renoncé au monde pour toi.
Les chemins que j’ai franchis avant toi,
Je les ai reniés et j’ai renié le grain de rosée.
J’ai renié mes maisons et mes arbres
Et les nuages au-dessus de mon école.
Les stations de ma vie, mes crayons,
Les formes de l’attente,
Je les ai toutes reniées

Et en palais, je les ai taillés dans les lettres…

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