Thursday 7 September 2017

LA QUEUE DE LA RENAISSANCE







BRONZINO: VENUS ET CUPIDON
Dominique Fernandez: La Société du mystère, roman florentin, Grasset, 2017, 608pp.
          En 1564, à 88 ans, mourait Michel-Ange. Un grand créateur disparaissait sonnant la fin d’une époque. C’est à ses funérailles qu’est consacré  l’un des derniers chapitres du roman florentin de Dominique Fernandez, volumineux ouvrage écrit à l’âge où  décédait l’artiste. (Souhaitons à l’écrivain, né en 1929, encore bien des années de voyages, d’érudition, de contemplation, de réalisations et de gaieté !) L’auteur de Moïse a hissé la création artistique qu’il a illustrée dans l’architecture, la sculpture, la peinture et la poésie à un rang social majeur. « Jamais pompe n’égala en splendeur l’appareil des funérailles. »
           La Société du mystère ne couvre pas toute la Renaissance florentine bien qu’il lui arrive d’élargir son domaine quant à l’histoire comme à la géographie. Le roman s’attache à sa quatrième génération, et de quel attachement ! Le premier âge est celui de l’éveil « au sortir de la barbarie gothique » (Giotto…) ; le deuxième, essentiellement le quattrocento, celui de la maturité (P. Uccello, Fra Angelico, Piero…) ; le troisième celui de la perfection (Botticelli, Léonard, Michel-Ange, Raphaël).  Le quatrième est celui des maniéristes. S’agit-il de peintres dans la maniera de la chapelle Sixtine, de simples épigones ? S’agit-il d’une décadence comme le soutient Vasari dans ses Vies (1568) ? S’agit-il d’une « crise » qui, comme l’affirmera A. Chastel, cherche à outrepasser « l’ordre, l’équilibre, la raison » ? Ne serait-ce pas plutôt une recréation du monde et une réinvention de la peinture tordant les anatomies, donnant  d’autres intensités aux couleurs, peuplant les œuvres de représentations bizarres, brisant l’accord entre l’homme et l’univers, mettant en cause l’idée même d’homme et de Dieu? « La virtuosité sans défaut de Titien, l’élégance de Botticelli, la sérénité de Raphaël, [Pontormo] les avait tournées en dérision. A la place de ces manières aisées et gracieuses, rien que des lignes instables, des contours flous, des figures grimaçantes. »



JACOBO PONTORMO: DECOR POUR UN APPARTEMENT PAPAL

          Son roman, Fernandez  le bâtit essentiellement à partir du journal, prétendument  retrouvé chez un bouquiniste, d’un peintre de cette ultime génération, Agnolo Bronzino (1503-1572), disciple et cadet de 9 ans du Pontormo (Jacopo Carucci 1494-1557), et ami/ amant de Sandro Allori (1535-1607) et de Benvenuto Cellini (1500-1571). Mais il puise aussi dans les mémoires de ce dernier comme dans des papiers fictifs du premier. Les destins de Rosso et de Parmigianino ont également droit au chapitre. Le romancier narre le fond social, trace les carrières, raconte des histoires grivoises dignes de Boccaccio, et surtout décrypte les peintures. Les fresques, dessins et tableaux à consulter pour s’orienter dans l’oeuvre sont très nombreux et le lecteur tantôt regrette de ne pas avoir entre les mains un livre luxueux et abondamment illustré, tantôt loue la magie du moteur de recherche Google. Mais le jeu vaut bien des chandelles.


PARMIGIANINO: AUTOPORTRAIT AU MIROIR CONVEXE 

          La société florentine met la beauté au dessus de la morale et de la religion, mais est régie sous les Médicis par des lois sévères. Eprouvés par la peste, par le gouvernement de Savonarole, par le retour de ses maîtres anciens, les habitants de la fleur des cités, comme le montre l’œuvre de Bronzino, partagée entre l’effusion et le conformisme, parviennent toujours à réconcilier la hardiesse de Cellini et la prudence de Machiavel. Mais à l’heure des schismes de Suisse, d’Allemagne et d’Angleterre, et du Sac de Rome par les armées de Charles Quint qui n’a rien épargné dans la ville éternelle, une vision sereine et équilibrée de l’univers a pris fin en Italie.
          Outre l’amour de l’art et étroitement lié à lui, le ressort principal du roman de Fernandez est ce qu’on nommait dans la cité du lys « le vice infâme » toléré seulement quand il était caché et sévèrement puni. Il réunit, en un pacte confidentiel où le rejoignent les audaces esthétiques et les poussées de dissidence religieuse, cette « société du mystère ».  L’exaltation du corps viril, du beau masculin, de leurs organes de jouissance, sert aux peintres d’expression artistique. L’auteur évoque même « la grande et mystérieuse famille de la queue ». Sans la censure, le rigorisme, la bigoterie, la surveillance familiale, la peur des peines et des récriminations, les stratégies maniéristes auraient-elles inventé mille stratagèmes pour se dévoiler sur la toile ? Honneur soit dû à cette quatrième génération, queue de la Renaissance annonciatrice de bien des audaces de l’histoire de l’art ! 



ROSSO : MORT D'ADONIS 
       
           



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