Wednesday 1 November 2017

LES RELATIONS FRANCO-LIBANAISES SONT MATÉRIELLES, SYMBOLIQUES ET ÉMOTIONNELLES









Stéphane Malsagne: Sous l’œil de la diplomatie française, Le Liban de 1946-1990, Préface de Jean-Pierre Filiu, Geuthner, 2017, 338pp.

Le titre de l’ouvrage n’est pas sans rappeler celui de Maurice Barrès, Sous l’œil des barbares (1888), mais il n’y faut pas voir de sous-entendus. Le livre de Stéphane Malsagne n’observe pas seulement près d’un demi-siècle d’histoire libanaise, il éclaire aussi ceux qui en sont les témoins, les diplomates français dont l’action participe souvent des événements. Né en 1970, professeur d’histoire du Moyen-Orient à l’université de Versailles et à Sciences-Po, l’auteur a signé un ouvrage remarqué sur Fouad Chéhab (Karthala-IFPO, 2011) et édité  le journal au Liban du Père Lebret[1]. Sa présente recherche bénéficie de l’ouverture des archives diplomatiques du Quai d’Orsay relatives à notre pays jusqu’à la fin de la guerre en 1990. A l’intérieur de cadres conceptuels solides, et tout en produisant une documentation riche en faits et en chiffres, il réussit le pari de capter l’attention du lecteur profane et d’entretenir un récit attachant malgré les traits sombres et sanglants de nombreuses années retracées.
Une fois dégagées de leur gangue mythique (celle qui les fait remonter à 1000 ans), les relations franco-libanaises parviennent  à garder leur charge symbolique et émotionnelle. L’Etat du Grand- Liban fut proclamé par le général Gouraud le 1er septembre 1920, mais l’indépendance de la République en novembre 1943, ainsi que l’évacuation des troupes françaises achevée en 1946, ne sont pas allées sans heurts avec la puissance mandataire. Il n’est jusqu’aux relations diplomatiques entre les 2 pays qui n’aient été retardées, par le général De Gaulle, en vue de l’obtention d’un traité d’État à État refusé par les Libanais. Claude Cheysson, ministre des relations extérieures parle en avril 1983 de « culture commune » et affirme : « Le Liban fait partie pour nous de notre famille » ; le président Gemayel va plus loin: le pays du cèdre fait « partie intégrante du patrimoine culturel  français ». Cela explique, peu ou prou, pourquoi le Liban est le seul pays arabe à n’avoir pas rompu avec la France suite aux guerres de Suez et d’Algérie et pourquoi la France n’a jamais fermé son ambassade à Beyrouth aux plus noires des journées d’affrontements et d’invasions. Dans son ampleur, la question demeure : « Pourquoi la France cherche-t-elle coûte que coûte à maintenir des relations privilégiées avec son ancien Mandat ? »


Proclamation du Grand Liban par le général Gouraud, le 1/9/1920

Le 23 mai 1946, Armand du Chayla est le premier « Envoyé extraordinaire et plénipotentiaire » de la France à Beyrouth. Il y reste jusqu’en 1952 assistant à la guerre de Palestine, à l’armistice et à l’afflux des réfugiés (1948-1949), représentant une France seule puissance occidentale  bienveillante et amie du Liban et ayant toujours « la cote d’amour » des Libanais, mais méfiant à l’égard d’un président de la république qu’il présente comme chef de « clan » responsable de la « stagnation » du pays. L’ambassadeur est un diplomate ; il a rallié  De Gaulle à Londres comme le seront ses successeurs jusqu’à  Hubert Argod (1975-1979). Un rapport d’inspection évoque sa « dignité pleine de simplicité et de gentillesse ». Il installe la légation à Clémenceau, gère divers problèmes relatifs au parc domanial français, se rapproche de toutes les composantes libanaises et fait d’une Résidence des pins embellie le lieu de rencontre privilégié des notabilités du pays. La réception du 14 juillet en ce lieu symbolique et central, revient comme un leitmotiv dans les divers chapitres, à l’exception des années 1982-1991 où il fut presque déserté, pour mesurer non seulement le prestige de la diplomatie française, mais aussi la diversité de ses contacts.
Malsagne divise son livre en 3 parties consacrant chacune à chaque ambassadeur un chapitre, assignant aux divers collaborateurs leurs rôles, soulignant l’influence propre des « conseillers orientaux » (Antoine Rozek et François Abi Saab, facilitateurs et intermédiaires dévoués). On regrette cependant l’absence de mention de Georges Schehadé qui œuvra dans les institutions culturelles françaises[2], fut proche des diplomates et dont les vers à Charles Lucet[3] et autres poésies seront lus et les pièces jouées bien après disparitions et oublis, ainsi que l’omission de grandes figures de la culture française au Liban qui ne semblent avoir droit à être citées que si elles sont assassinées.
Des  premières années de l’indépendance au départ du président De Gaulle (1946-1969) règne « l’âge d’or ». L’action des diplomates n’y est pas  simple puisqu’elle doit contrecarrer une double influence, celle de l’arabisme montant exalté par Nasser et la guerre d’Algérie, et celle des anglo-saxons, principalement les Américains qui cherchent à étendre leur influence politique, économique et culturelle. Mais l’ « appui inconditionnel » du Général  au Liban contre les agressions israéliennes  et son prestige arabe après 1967, ainsi que la francophilie du président Chéhab et son « gaullisme », à l’heure de la tentative de construction d’un État moderne, étendent et renouvellent le rayonnement de la France à toutes les communautés libanaises.
La seconde période couvre les mandats de Pompidou et de Giscard d’Estaing (1969-1981) et voit les assises de l’État libanais ébranlées, les positions de la France rognées par les États-Unis et Damas, le pays sombrer dans la guerre « civile » (1975-1977) et souffrir l’occupation partielle d’Israël (1978). Les représentants de la France n’épargnent leurs efforts dans aucun domaine et cherchent à ne pas mécontenter un camp en satisfaisant un autre[4]. Leur fin est tout autant  la préservation de l’unité, de la souveraineté et de l’indépendance du Liban que la défense des positions privilégiées de la France.  La mission De Murville-Gorse (novembre 1975), la participation capitale à la FINUL (1978)… sont des initiatives importantes. La France s’engage aussi dans une politique palestinienne de dialogue avec l’OLP. L’Iran khomeyniste fait irruption. Cette partie se clôt par l’assassinat de l’ambassadeur Louis Delamare, le 4 septembre 1981, à quelques mètres d’un barrage syrien et à 5 jours de la rencontre Cheysson-Arafat à Beyrouth (30 août). Le traumatisme sécuritaire s’installe, mais les ambassadeurs ne cesseront de remplir leur mission au péril de leur vie.


De 1982 à 1990 et de l’invasion israélienne à l’accord de Taëf et à l’exfiltration du général Aoun, le Liban connaît la période la plus sombre de son histoire. La France des 2 mandats Mitterrand est particulièrement active sur la scène proche-orientale, elle est présente militairement dans le pays, assure la protection des 2 évacuations de l’OLP (Beyrouth 1982  et Tripoli 1983), soutient la légalité libanaise… Les attentats, les assassinats et les enlèvements réduisent cependant son champ d’action. Mais «le professionnalisme, le courage et le sens du devoir » ne cesseront d’animer ses principaux représentants[5].
L’exposé qui précède ne rend pas justice à la globalité, densité et  précision du livre de Malsagne. Avouons, pour nous décharger, qu’il donne l’envie
De vivre encore et de connaître
          Notre histoire jusqu’à la fin (Aragon)
        




[1] Lebret (Louis-Joseph): Chronique de la construction d’un État. Journal au Liban et au Moyen-Orient, Geuthner, Paris, 2014.
[2] L’ami de Gabriel Bounoure fut secrétaire de l’Ecole Supérieure des Lettres de sa fondation en 1944 à 1949.
[3]  Charles Lucet, conseiller à l’ambassade du temps d’A. du Chayla.
 “Ils ne savent pas qu’ils ne vont plus revoir
    Les vergers d’exil et les plages familières… »G. Schehadé, Poésies II,1948.
[4] Les propos du ministre français des affaires étrangères, Louis de Guiringaud (16/10/1978) imputant aux seuls chrétiens la responsabilité des affrontements d’Achrafieh quelques jours après la résolution 436 du Conseil de Sécurité mettant sur le même plan l’armée syrienne et une milice locale (6/10/1978) furent du plus mauvais effet sur le camp chrétien.
[5] “Devenu très dangereux, le poste de Beyrouth ne se refuse pas et fascine sans doute pour un diplomate français. » Malsagne : Sous l’œil…p. 261. Le mandat de l’ambassadeur à cette phase ne dépasse pas deux ans.  

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